HISTORIQUE
Quel est le meilleur spectacle que tu as vu? C’est une des questions qu’on me pose le plus souvent depuis que j’ai commencé à faire du coaching scénique. C’est impossible de répondre à cette question, il y en a trop que j’ai aimés, à trop d’époque de ma vie, dans trop de contextes différents.
Par contre, voici un retour en arrière qui explique comment j’en suis venu à faire ce métier. Tout part de trois spectacles marquants, suivis d’un parcours éclectique entre musique, théâtre et communications.
Été 1978 – Le premier refrain qui m'a marqué
Mon premier souvenir de spectacle est plutôt vague. Nous sommes à l'été 1978, à Québec, lors d'un spectacle extérieur. J’ai 6 ans. Juché sur les épaules de mon père, je tape des mains comme tout le monde autour de moi en chantant «L'arbre est dans ses feuilles, marilon, marilé». Zachary Richard est sur scène. Moi et quelques centaines d’autres spectateurs reprenons son refrain à l'unisson en essayant de ne pas nous mélanger dans l’ordre des paroles. « L’oiseau est dans l’œuf, l’œuf est dans le nid, le nid est dans le trou, le trou est dans le nœud, le nœud est dans la branche, la branche est dans l’arbre...». Est-ce que ce spectacle était bon ? Je ne le sais pas. Mais plus de 40 ans sont passés depuis ce spectacle et j’ai encore en tête l’ambiance festive d’une soirée magique.
Zachary Richard avait 27 ans. Il était un jeune auteur-compositeur-interpète émergent fraîchement débarqué de Louisiane et faisait ses premiers pas sur la scène québécoise. Aujourd’hui, il est devenu un monument de la chanson francophone. Je suis convaincu que, sans cette capacité d'entraîner le public dans ses énumérations semblables à des de poupées russes, il n’aurait jamais eu une aussi belle carrière.
Ma grande sœur, ses disques et mon premier show rock
Nous sommes en 1983 et je suis en sixième année dans une école dirigée par des religieuses.
J’ai alors onze ans et ma grande sœur de 17 ans est pour moi une source inépuisable de culture pop. Elle possède une impressionnante collection de vinyles où se côtoient Queen, Bob Marley, The Police, David Bowie, Peter Tosh, Frank Zappa, les Stones, Marvin Gaye et plusieurs autres.
C’est elle qui a allumé en moi la flamme, qui m’a transmis l’amour de la musique. Elle était pour moi l’incarnation du mot cool. Pour Noël, elle me donne le plus beau cadeau que j’ai pu recevoir dans ma vie. Avec le recul, c’était peut-être un cadeau empoisonné. C’est une carte avec un mot à l’intérieur et un billet de spectacle. Quelques semaines après Noël, le 12 janvier 1983, elle et son copain m'amènent au Colisée de Québec pour voir le show de Kiss dans le cadre de leur tournée « Creatures of the Night ». Je ca-po-te.
En 1983, le Québec n’est pas encore aussi laïc qu’aujourd’hui et quelques groupes Chrétiens manifestent leur désaccord quant à la venue de ce quatuor «satanique» Américain. Daniel Bouchard, un homme très pieux qui est alors gardien de but des Nordiques de Québec, se faufile dans le Colisée avant le spectacle pour déposer six bibles sous la scène où le groupe se produira en soirée.
Le soir venu, arrivé sur place, j’ai l’impression de pénétrer dans un monde à la fois épeurant et terriblement attirant. Les costumes, les éclairages, la scénographie, la batterie montée sur une tête de char d’assaut équipée d’un canon qui crache du feu, les haut-parleurs qui explosent, tout est démesuré. Pour la première fois, je goûte à la subversion du rock. Je sors de là le poing en l’air, hurlant le refrain de Rock & Roll All Night dans la noirceur froide de janvier.
Le lendemain, dans la cour de récréation des Sœurs du Bon-Pasteur, tout fier d’exhiber mon attitude rock, je dis à tout le monde que j’ai de la difficulté à les entendre parce que mes oreilles luttent contre l’acouphène provoqué par le concert. Ce matin-là, j’ai le sentiment de passer du statut de petit gars à lunettes empreint d’insécurité à superstar de mon école primaire. J’ai défié l’autorité catholique et osé communier avec les suppôts de Satan. Je suis transformé.
Évidemment, je ne suis pas devenu satanique, mais ce premier show rock vu un soir de janvier 1983 m’a donné le début d’une confiance en moi dont j’avais grandement besoin du haut de mes 11 ans.
Un ado en quête d’identité
Au milieu des années 1980, Iron Maiden, Scorpions, Twisted Sister, Quiet Riot et autres bands hard rock règnent en rois et maîtres sur la ville de Québec, du moins c’est mon impression. La musique québécoise n’a plus autant la cote depuis la défaite du camp souverainiste au premier référendum. Seuls quelques hippies nostalgiques grattent des guitares à douze cordes sur les Plaines d’Abraham. Il y a aussi des marginaux tout de noir vêtus qui achètent des disques européens d’importation privée chez Vinyle sur la rue St-Jean : Joy Division, The Cure, Siouxie & The Banshees, Sisters of Mercy, Psychedelic Furs, Bauhaus et Trisomie 21. Ceux-là dansaient avec le mur à l’Ombre Jaune. Puis il y a les grands frères de tout le monde que je connais qui nous imposent leur rock progressif avec Genesis, Gentle Giants, Jethro Tull et Rush. Les filles des écoles privées écoutent Duran Duran. J’avais un peu de difficulté à m’identifier au métal et au rock progressif omniprésents à Québec, le côté sombre du dark wave un peu gothique me déprimait, je ne porte pas de poncho, je tombe donc dans le camp de Duran Duran (et des filles).
Nous sommes à l'été 1985 et j’ai 13 ans. Je joue du sax ténor dans l’harmonie de l’école depuis deux ans et de la basse électrique dans mon sous-sol depuis un mois. Chaque fois que je dis à quelqu’un que je joue de la basse, c’est immanquable, il me demande si je joue YYZ de Rush. C’était la pièce obligatoire si tu voulais te proclamer bassiste. C’est peut-être pour ça que je n’ai jamais vraiment aimé Rush. En plus de débuter à la basse, je commence aussi à me taper une petite crise d’identité culturelle. Je suis le gars semi-black dans une ville presque entièrement blanche ou tout le monde écoute ce qu’il y a de plus blanc comme musique et je ne me reconnais dans aucun des groupes énumérés plus haut. Je les écoute parce qu’ils sont partout et que je ne connais pas tellement autre chose. Ma sœur est partie en appartement, je ne peux plus me réfugier dans sa collection de disques.
Puis un jour, j’entends The Dream of the Blue Turtles, premier album solo de Sting. Il vient de quitter The Police et s’est monté un band de feu, tous des Afro-Américains issus du monde du jazz : Omar Hakim (batterie), Kenny Kirkland (piano), Brandford Marsalis (sax), les choristes Dollette McDonald et Janice Pendarvis ainsi que celui qui allait devenir mon idole, ma réponse à tous ceux qui me cassaient les oreilles avec Geddy Lee, le grand Darryl Jones à la basse.
Bring On The Night, un album live et un documentaire sur la tournée de l’album Dream of the Blue Turtles. J’ai écouté l’album plus de 1000 fois. La pièce d’ouverture, Bring On The Night / When The World Is Running Down You Make The Best Of What’s Still Around est encore pour moi un exemple de perfection d’arrangement musical pour la scène. Ça vient me chercher dans les tripes. Ce sont 11 minutes 41 secondes de pur plaisir.
Nous sommes maintenant le 10 février 1988, au Colisée de Québec. Je suis sur le parterre à la deuxième rangée, le spectacle commence, Sting monte sur scène avec sa bande et nous balance son extraordinaire métissage musical livré par des musiciens de classe mondiale. Le rock, le reggae, le blues, le jazz, la pop, c’est fait sur mesure pour moi. Enfin, je me reconnais dans ce je vois et ce que j’entends. Au cours des années qui ont suivi, je me suis plongé dans l’écoute du jazz pour mieux comprendre la magie de cette soirée-là.
Montréal, la musique, le théâtre,
la télévision et autres détours sinueux...
En 1991, je quitte Québec pour m’installer à Montréal. Je viens étudier en cinéma, mais ma basse et mon ampli sont avec moi. J’avais joué dans un ou deux bands de garage à Québec, mais c’est dans ma ville d’adoption que je fais réellement mes premiers pas en musique. J’habite le centre-ville, pas loin du Quartier Latin et je passe mes soirées dans les bars-spectacles où tous les bluesmen du Québec se produisent. Fasciné par le walking bass je me consacre à l’apprentissage du blues.
Dès 1992, je me joins à des groupes locaux et ensemble, nous faisons nos débuts sur scène devant un fidèle public d’amis que l’on contraint à venir nous écouter.
En 1995, je quitte Montréal pour m’installer à Sainte-Thérèse où je suis admis comme étudiant au programme de théâtre du Collège Lionel-Groulx. Acteur au talent limité, j’y ai passé seulement un an, mais j’y ai appris une foule de choses sur l’art d’être sur scène, des choses qui me sont toujours utiles à ce jour.
De fil en aiguille, dès la fin des années 1990, j’ai été invité à me joindre à plusieurs formations où j'ai eu l'occasion de jouer une foule de styles musicaux : disco, blues, rock, world-beat, klezmer, manouche, jazz, country, peu importe le style, j’y vais. Comme bassiste, j’ai partagé la scène avec une panoplie d’artistes (bons et moins bons) et j’ai énormément appris au contact de chacun d’eux.
En 2000, par un heureux concours de circonstances, je reçois un appel pour remplacer au pied levé le bassiste de Jean Leloup pour une série de trois concerts en Abitibi. Trois jours mémorables où j’observe de près le travail d’un maître du spectacle.
En 2002, j’ouvre un nouveau chapitre de ma vie professionnelle alors qu’on me propose d’animer une série d’émissions de télévision sur le tourisme et le plein-air. J’ai eu le plaisir de faire ce métier en parallèle de la musique pendant une dizaine d’années pour Canal Évasion, Télé-Québec et TV5. J’ai même animé les tirages de Loto-Québec à TVA. J’y ai beaucoup appris sur la communication et la présence à l’écran.
De 2006 à 2012, je tente ma chance en tant qu’auteur compositeur interprète et obtiens un succès très confidentiel. Je ne suis ni le meilleur auteur, ni le meilleur compositeur, et surtout pas le meilleur interprète. Mais je réussis à tirer mon épingle du jeu en préparant minutieusement mes spectacles. Interventions, arrangements des pièces et transitions : tout est pensé pour m’assurer que le public soit diverti. C’est ainsi qu’en 2007, je remporte le prix du meilleur A.C.I. au Festival de la Chanson de St-Ambroise au Saguenay. Invité par la suite à participer aux Sily d’Or, je me suis taillé une place dans la programmation du Festival Nuits d’Afrique à l’été 2009, partageant ainsi ma musique aux accents métissés sur la grande scène extérieure du parc Émilie-Gamelin. En 2012, après une centaine de prestations dans ce rôle, je décide d’arrêter de pousser ma carrière d’auteur-compositeur-interprète.
À la même époque, en 2009, j’ai l’honneur d’accompagner Ginette Reno pour une tournée partout au Québec. Elle est de loin l’artiste la plus impressionnante avec qui j’ai eu le plaisir de travailler.
De 2010 à 2014, je travaille au Patro Vys, une petite salle de spectacle à Montréal. J’y vois le meilleur (...et le pire) du milieu indie Montrélais. Je suis aux premières loges pour observer la scène locale, une scène remplie d’artistes bien intentionnés qui donnent des spectacles qui ne sont pas toujours à la hauteur de leur talent. C’est là qu’est née l’idée de faire du coaching pour les musiciens.
Mais avant de me lancer dans le coaching, j’ai travaillé comme agent de spectacle chez Zinc Productions. Ça m’a permis de mieux comprendre les besoins des programmateurs de salle et de festivals. J’ai aussi assisté à une foule de prestations lors de vitrines professionnelles (RIDEAU, ROSEQ, Phoque OFF, Canadian Music Week). J’ai pu y voir toute l’importance de la préparation pour que des artistes se démarquent dans ces contextes très compétitifs.
J’ai longuement mûri l’idée de faire du coaching scénique. J’ai pris le temps d’étudier diverses méthodes de travail et me suis demandé quel était le secret pour faire un bon spectacle. J'ai passé en revue toutes les approches que j’ai apprises en tant que bassiste, acteur et animateur pour créer un lien fort entre les artistes et le public. Je ne prétends pas avoir toutes les réponses ni connaître tous les trucs du métier, mais je me suis certainement posé plus de questions à ce sujet que la plupart des gens.
En 2018, j’ai plongé et commencé à coacher des groupes de musique. Les résultats ont été immédiats et depuis, plusieurs d’entre eux font appel à moi régulièrement pour obtenir un regard extérieur franc et des conseils concrets pour livrer de meilleurs spectacles. Bref, je « pimpe » des shows.
Aujourd’hui, quand je repense aux spectacles de Zachary Richard, de Kiss et de Sting que j’ai vus à Québec, quand je pense à ma sœur qui m’a transmis sa passion pour la musique, quand je pense aux métiers que j’ai exercés, aux artistes que j’ai accompagnés et aux spectacles que j’ai donnés, je remercie la vie de m’avoir confié ce bagage d’expérience. Maintenant, je le partage avec plaisir.